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Paroles

Pr Gérard Shadili

Psychiatre addictologue, administrateur de l’APPA

Responsable du service dédié à l’addictologie adolescente au sein de l’Institut Mutualiste Montsouris, à Paris, Pr. Gérard Shadili, administrateur de l’APPA, revient sur les conséquences de la crise sanitaire sur la santé mentale des patients mais aussi des soignants…

« Nous n’avons pas encore tout le recul nécessaire, mais on sait déjà que les conséquences de la crise sont très importantes sur le personnel médical dans son ensemble. »

En quoi la crise sanitaire du Covid-19 a-t-elle impacté la santé mentale de façon générale ?

D’abord du point de vue des patient.e.s, qui sont déjà fragilisé.e.s, il y a eu une nette dégradation entre le premier confinement et les vagues suivantes. La décompensation anxio-dépressive et les troubles du sommeil se sont accélérés. Il y a eu un doublement des taux de dépression et des troubles anxieux, tout en aggravant ceux des personnes qui étaient déjà confrontées à une vulnérabilité préexistante. On a aussi constaté un doublement des tentatives de suicide et une décompensation psychologique chez des gens qui n’avaient pas de problèmes de santé mentale, avec l’apparition de nouveaux symptômes : troubles du sommeil, maux de tête, somatisation, etc. Nous avons également observé un phénomène de culpabilité importante, en particulier chez les jeunes qui ont pu se sentir responsables de la contamination de leurs proches. Tout cela a fait ressurgir l’angoisse de la mort chez des patient.e.s et des sujets qui n’étaient pas atteints de troubles avant le Covid… 

Et quelles ont été les conséquences sur le personnel soignant ?

Nous n’avons pas encore tout le recul nécessaire, mais on sait déjà que les conséquences de la crise sont très importantes sur le personnel médical dans son ensemble. Tout d’abord, on remarque une corrélation logique entre les épisodes de confinement et une augmentation de la précarité à tous les niveaux (professionnelle, relationnelle, etc.). Nous sommes des êtres sociaux, ritualisés, avec des codes : le fait qu’on ait dû improviser et changer ainsi nos rituels n’est pas sans impact ! Avant, lorsqu’on pensait à une pandémie, on parlait de la peste mais c’était loin de nous… Le Covid a touché tout le monde, de près ou de loin, et créé beaucoup de traumatisé.e.s ; la plupart de la population sera résiliente mais il y aura des conséquences, sûrement lointaines, chez de nombreuses personnes. Concernant les soignant.e.s à proprement parler, on a assisté à une augmentation des addictions et du stress post-traumatique induit par la crise. Ils.elles sont en effet passé.e.s d’une logique de prise en charge claire et programmée, dotée de protocoles bien définis, à une situation d’urgence brutale qui demandait d’aller au combat sans protection ! Pour certain.e.s, au plus fort de la crise, cela revenait à être confronté, chaque jour, à la mort et à la disparition de patient.e.s. Le pourcentage de décès en réanimation, en période « normale », est inférieur à 20%. Mais quand on passe à 50 %, l’impact sur le personnel n’est évidemment pas le même !

Dans quelle mesure la crise sanitaire a-t-elle accentué la vulnérabilité de l’hôpital ?

Il faut se remettre dans le contexte… Quand le Covid est arrivé, personne ne connaissait la maladie et le rôle des hospitaliers en première ligne consistait bien souvent à accompagner les premières victimes vers la mort ! Cela ne peut entraîner que du stress post traumatique, en plus d’être obligé d’exercer une médecine de guerre ou de catastrophe. Ce phénomène a également été accentué par le fait d’avoir vu que les gens à l’extérieur ne respectaient pas toutes les mesures nécessaires pour endiguer la pandémie, et qu’il n’y avait pas toujours de prise de conscience de la gravité de la crise. La coordination n’était pas toujours au rendez-vous, loin s’en faut et on a vu beaucoup de « bricolage ». 

« Au début, il n’y avait pas de masques, ni de blouses ; on faisait nos propres coutures avec des sacs plastiques, car on manquait de tout. On allait au combat sans armes, mais avec des collèges qui y restaient ! C’est évident qu’en vous approchant ainsi de la mort et en prenant soi-même des risques, les effets ne sont pas anodins sur le plan psychosocial et particulièrement dans les lieux, comme à l’hôpital, qui concentraient toute cette « violence ». »

Je vous rappelle qu’avant la crise, 52% des praticiens se déclaraient en situation de burn out, 60% des internes, 40 à 60 % des personnels infirmiers… Après la crise, on ne voit pas comment cela peut s’améliorer, d’autant que tout le monde tirait déjà la sonnette d’alarme, depuis bien longtemps, sur les conditions de travail, les manques de moyens, l’incapacité à prendre en charge correctement les patients, etc. Le bousculement des soins, induit par la pandémie, a entraîné d’autres dommages collatéraux sur le fonctionnement de l’hôpital et sur la santé en général. 60 à 80% des actes de chirurgie ont été déprogrammés durant les vagues successives de la pandémie. Par conséquent, on a ensuite vu arriver des patients avec des cancers aggravés, des besoins de chirurgie thoracique qui avaient disparu depuis un demi-siècle ou des infarctus qui, en temps normal, auraient pu être évités. Au-delà des victimes du Covid, la surmortalité et la sur-morbidité quotidienne se sont poursuivies avec le même type de conséquences pour les soignants qui y sont confrontés. L’épuisement est réel, encore plus pour celles et ceux qui ont dû reporter des congés, ce qui aggrave la situation et les risques psychosociaux à l’hôpital…