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Paroles

Jérôme Le Maire

Cinéaste, réalisateur du documentaire « Burning Out : Dans le ventre de l’hôpital »

Pour réaliser son documentaire « Burning Out, Dans le ventre de l’hôpital », le cinéaste Jérôme le Maire s’est immergé pendant deux ans au cœur d’un grand hôpital parisien afin de découvrir et raconter les ressorts de l’épuisement professionnel au quotidien.

« L’idée est venue du livre Global Burn Out du philosophe Pascal Chabot qui aborde le problème du burn-out à travers une approche « systémique », c’est-à-dire comme un syndrome qui affecte les individus mais qui est aussi le reflet-miroir de notre société techno-capitaliste. »

Quelle a été la genèse de votre film ?

L’idée est venue du livre Global Burn Out du philosophe Pascal Chabot qui aborde le problème du burn-out à travers une approche « systémique », c’est-à-dire comme un syndrome qui affecte les individus mais qui est aussi le reflet-miroir de notre société techno-capitaliste. J’ai rencontré l’auteur qui m’a aidé à réfléchir sur la problématique. Puis, à l’occasion d’une conférence qu’il donnait à l’hôpital Saint-Louis, à Paris, j’ai également pu échanger avec une anesthésiste-réanimatrice, Dr. Marie-Christine Becq, qui était déjà très engagée sur ces questions, au quotidien et sur le terrain. Elle fait partie de ces personnes particulières qui, dans un système en surchauffe, lève la main pour dire qu’il y a un problème ; dans le domaine des soins concernant la souffrance au travail, on dit que c’est un « toxic handler », c’est à dire la personne qui montre la toxine au système ! J’ai été touché par son travail, par son courage et par le personnage, à la fois merveilleux, dynamique et qui n’a pas peur de prendre des risques…

Comment avez-vous préparé le projet ?

J’ai fait un an de travail avec Pascal Chabot, pour les repérages, afin de rencontrer des soignant·e·s et comprendre les ressorts du burn-out. Il m’a fallu ensuite un an à l’hôpital pour me familiariser avec l’organisation du bloc opératoire et choisir celles et ceux qui allaient devenir les « personnages » du film. Il fallait aussi me faire connaître et me faire accepter. On a tourné ensuite durant une année complète, de janvier à décembre. Puis on ajoute à cela une année de post production avec le montage image et son, le colorgrading et le mixage, ainsi que les deux ans de promotion pour présenter et promouvoir le film, notamment dans les festivals. 

« Au moment du tournage, j’ai été accompagné par une psychologue car j’étais au milieu de gens traumatisés qui soignent des gens traumatisés, et il était nécessaire que je m’en prémunisse pour moi-même. »

Comment la proposition du projet a-t-elle été accueillie ?

A priori, on peut se demander comment une caméra peut rentrer dans un tel endroit, aussi compliqué, aussi délicat et, qui plus en est, en souffrance, au sein duquel des personnes sont réellement en danger… Il faut prendre le temps pour faire connaissance et être transparent sur le projet. Du point de vue de l’hôpital, c’était une demande assez particulière. Martin Hirsch, à l’époque directeur de l’AP-HP, était tombé un peu à côté de sa chaise à l’issue de la présentation du projet… Concernant le bloc opératoire, cela m’a pris beaucoup de temps pour me présenter auprès des 350 personnes qui travaillent dans le service et pour faire « le tri » entre celles qui acceptaient, ou non, d’être filmées. Au moment du tournage, j’ai été accompagné par une psychologue car j’étais au milieu de gens traumatisés qui soignent des gens traumatisés, et il était nécessaire que je m’en prémunisse pour moi-même. J’ai également travaillé avec un superviseur spécialisé sur le sujet du burn-out, ce qui permettait d’analyser la situation et son évolution, de façon à ne pas commettre d’impair et de prévoir à l’avance ce qui pouvait se passer…

Comment le film a-t-il été reçu ?

Quand je termine un film, la première chose que je fais est évidemment de le montrer aux personnes concernées, en particulier à celles qui ont été filmées. La direction de l’hôpital l’a reçu favorablement, mais elle a mis un certain de temps avant de comprendre que le film ne l’inculpait pas car il s’agissait avant tout de montrer un problème plus systémique, plus global. Les soignant·e·s ont été vraiment heureux·ses du résultat avec, pour certain.e.s, une appréhension d’être mal vu·e·s par les collègues ; en même temps, ils.elles se rendaient compte que leur participation révélait d’un certain courage. Durant la phase de promotion, le documentaire a été diffusé dans plusieurs pays et j’étais encore plus inquiet, en faisant la tournée, de voir autant de personnes en souffrance ! J’avais mis tellement de temps à réaliser le projet que je pensais qu’à sa sortie, on serait peut être sorti de cette crise… Eh bien, pas du tout ! Pendant toute la tournée, j’ai reçu énormément de témoignages édifiants et cela n’a jamais vraiment cessé depuis, en particulier durant la crise sanitaire et les confinements successifs… 

Qu’avez-vous retenu de cette expérience ?

Le premier enseignement, je pense, c’est d’avoir pris conscience que la compréhension du burn-out demande beaucoup de temps. L’air de rien, il s’est immiscé dans notre société techno-capitaliste occidentale depuis une trentaine d’années, à travers des techniques de management qui sont absolument toxiques mais qui sont toujours enseignées aujourd’hui. Le nombre de gens atteints par ce syndrome ne diminuera jamais, tant que ces concepts continuent à être transmis.

« La deuxième chose, c’est qu’il faut « re-contaminer » le monde du travail avec de nouvelles valeurs essentielles à l’humanité et à l’humanisme. Il faut (s’)investir davantage dans le collectif, recréer du lien, de façon à re-consolider un socle de valeurs sur lequel on pourra ensuite refonder l’organisation du travail. »

Actuellement, elle est fondée sur la rentabilité, que ce soit à l’hôpital ou ailleurs. Or, il faut vraiment mettre cela de côté pour mieux travailler le lien entre les personnes. Après la projection du film dans les hôpitaux, dont celui de Saint-Louis, il y a eu des efforts qui ont été fait, comme la création d’un comité de vie hospitalière. Quelque part, je me dis que le projet a servi à quelque chose… Ce film ne représente qu’un petit événement dans le long processus d’un syndrome grave qui s’insinue dans un corps (en l’occurence, médical) et qui, je l’espère, trouvera également sa voie de guérison !