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Paroles

Olivia Fraigneau

Interne en médecine d’urgence, ex-présidente de l’ISNI (2022-2023)

Le parcours et l’énergie débordante d’Olivia Fraigneau sont intimement liés à ses engagements professionnels et militants. En 2022, elle est élue Présidente de l’InterSyndicale Nationale des Internes après avoir été elle-même victime d’un burn-out lors de son internat…

« J’ai fait un burn-out à la fin de mon troisième trimestre d’internat et j’ai été arrêtée pendant 3 semaines. Ce n’était pas une époque évidente. D’abord, il a fallu reconnaître que ça n’allait pas… »

Quel est votre parcours ?

J’ai passé les ECN en 2019 à Amiens, j’ai ensuite choisi Paris pour l’internat. Je me suis toujours investie dans le secteur associatif et la représentation syndicale durant mes études de médecine. J’ai donc postulé pour rejoindre le bureau national de l’Association des Jeunes Médecins Urgentistes car ma spécialité étant « jeune », elle est assez méconnue et souffre de nombreux stéréotypes contre lesquels j’avais en vie de lutter. J’avais envie de contribuer à montrer que la médecine d’urgence pouvait être vraiment un choix de carrière ! L’association étant membre du réseau de l’ISNI, j’ai participé aux assemblées générales de l’intersyndicale pour me former et pour représenter la voix des urgentistes. J’ai alors commencé à prendre une part active dans la construction de certains projets de l’ISNI puis j’ai déposé ma candidature pour devenir présidente sur le mandat 2022-2023. J’ai vécu mon internat comme tout le monde et je l’incarnais lors de la candidature ; c’était important pour moi de rester connectée avec la réalité de ce qu’est l’internat, afin de pouvoir continuer à en parler…

Vous avez été vous-même victime d’un burn-out ?

J’ai fait un burn-out à la fin de mon troisième trimestre d’internat et j’ai été arrêtée pendant 3 semaines. Ce n’était pas une époque évidente. D’abord, il a fallu reconnaître que ça n’allait pas… J’avais une réelle incapacité physique à sortir de mon lit, je ne sortais plus de chez moi en dehors du travail, alors que j’avais justement choisi Paris pour profiter de la vie culturelle. C’était vraiment lié aux conditions de travail : à l’époque, j’étais à l’hôpital en continu ! J’ai mis beaucoup de temps à comprendre l’impact que cela avait sur moi, que ce n’était pas normal d’aller aussi mal et que j’avais des pensées suicidaires que je n’interprétais même pas comme telles. Heureusement, j’étais très bien entourée et il y a eu des gens qui ont su voir que ce n’était pas juste de la fatigue et m’ont aidé à me faire accepter qu’il fallait que j’aille consulter. Je l’ai d’abord vécu comme un échec. Ensuite, la situation m’a mise profondément en colère car elle brisait quelque chose auquel je tenais depuis tant d’années. J’étais très en colère contre les institutions, l’hôpital, mes chefs, et même mes co-internes car on entretient beaucoup de situations dramatiques…

Est-ce que l’internat favorise le burn-out ou cela remonte-t-il à encore plus loin ?

C’est compliqué et, d’une façon générale, on voit beaucoup d’internes qui vont mal sur le plan psychologique. Je dirais que les facteurs du burn-out existent pendant de nombreuses années et s’installent vraisemblablement dès les études de médecine. On augmente notre seuil de tolérance d’années en années, sur ce qu’on est capable de supporter. Lorsqu’on arrive en deuxième année d’internat, on est persuadé que cela va être plus simple, qu’on est enfin médecin, qu’on n’a plus de cours… Mais ce n’est pas vrai : les cours ne sont pas finis et il y a aussi la thèse qui peut représenter jusqu’à 90 heures de travail par semaine ! Il y a aussi une différence majeure sur le rôle qu’on a avant et après, car on passe vraiment d’une position d’étudiant·e·s à professionnel·le·s de santé. La pression n’est pas la même, mais on se rend compte que ce n’est pas mieux et qu’on est reparti pour au moins 4 à 6 ans, en plus des études. Or, personne ne peut tenir 10 ans dans les conditions qu’on nous fait vivre. C’est impossible quand on sait, entre autres, que 9 internes sur 10 se font harceler sur le lieu de travail et qu’un quart déclare avoir des idées suicidaires…


Selon vous, est-ce que la situation s’aggrave ou est-ce qu’on en parle simplement davantage ?

C’est certain qu’on a levé le tabou sur le sujet, il y a un effet « tsunami » qui donne forcément l’impression, de l’extérieur, que les choses empirent. On n’en parlait pas jusque là, et là, on en parle en continu… Ceci dit, la situation s’aggrave aussi réellement dans les faits. À l’échelle de l’ISNI, par exemple, le nombre de sollicitations quotidiennes a augmenté de façon exponentielle sur des sujets de démission, de réorientation ou de transfert de dossier à l’étranger. Nous portons plainte aussi, de plus en plus, contre les harceleurs au travail et les agresseurs ; même si, pour le moment, aucune affaire n’est allée en audience, toutes ont donné lieu à l’ouverture d’une enquête, ce qui est déjà une victoire car plusieurs responsables ont été relevés de leur fonction de chef de service. Concernant la santé mentale des internes, les choses ne peuvent qu’empirer car la situation à l’hôpital continue de se se dégrader. Les internes représentent une part de plus en plus importante du nombre de médecins actifs dans les hôpitaux, mais il y a toujours moins de moyens sur le plan administratif ou médical. On est dans un contexte où la population augmente et vieillit : alors que Ia charge de travail est plus importante, l’aide et le financement le sont toujours moins.

Pensez-vous que les nouvelles générations vont pouvoir faire évoluer le système ?

Il y en a qui luttent contre ce système et ses dérives. Mais on assiste également à un « biais du survivant » à l’hôpital. Pour les gens qui se sont battus pour avoir leur poste, pour devenir chef de service ou universitaire, il faut vraiment le vouloir et accepter de subir des conditions dégradantes, parfois humiliantes, souvent pendant plus de dix ans. Il y a quelques rares exceptions qui vont lutter contre ça, parfois au péril de leur propre vie, car on assiste également à des cas de suicides chez les universitaires… Chez les nouvelles générations, c’est certain qu’il y a une volonté de ne plus donner sa vie au travail. Ce n’est plus compatible avec la société, la vie familiale et sociale à laquelle tout le monde aspire. Et puis, qu’on se le dise, ce n’est pas agréable de travailler 90 heures à l’hôpital ! Il n’y a plus de personnel, les locaux sont souvent vétustes et les médecins sont censés se reposer dans des espaces parfois très dégradés… Ca devient une aberration, au même titre que les ruptures de médicaments ou de matériels !

« Chez les nouvelles générations, c’est certain qu’il y a une volonté de ne plus donner sa vie au travail. Ce n’est plus compatible avec la société, la vie familiale et sociale à laquelle tout le monde aspire. »

Je suis interne et j’ai un souci, que dois-je faire ?

On peut écrire directement à l’ISNI, qui dispose de plusieurs permanents et d’un juriste. Nous pouvons ainsi orienter les internes concernés vers les syndicats locaux, voire les aider pour construire des plaintes ou des dossiers selon que la situation relève du pénal, du code de la déontologie, ou autre. Dans une situation problématique, l’urgence va être de sortir l’interne de son terrain de stage et lui permettre de continuer sa formation ailleurs, dans l’optique de ne pas le laisser là où il se fait harceler. Ensuite, on s’organise avec le syndicat local pour récupérer le témoignage, car il connaît mieux les personnes et l’écosystème dans lequel les choses se passent et évoluent. L’ISNI intervient lorsque les syndicats ne sont pas en capacité de faire cela — car ce n’est pas toujours évident de recevoir et traiter le témoignage de dizaines d’internes en difficulté. Il y a ensuite le signalement à faire et la construction du dossier, à partir des entretiens avec les internes concernés et parfois avec l’intervention de notre avocate pénaliste lorsque les faits l’exigent.
À l’échelle des syndicats locaux, il y a des structures d’aide pour les internes en situation de détresse psychologique, qui vont pouvoir les conseiller ou les réorienter vers des professionnels. Dans chaque syndicat du réseau, on a des lignes dédiées avec des contacts qui sont complètement indépendants et tous les échanges se font dans un environnement strictement confidentiel. S’il y avait la moindre fuite, la structure de soutien serait attaquable sur le plan pénal et au regard du secret médical. Lorsque des drames surviennent, c’est-à-dire des suicides, l’ISNI a pris le parti de faire systématiquement un signalement au procureur, afin que cela entraîne l’ouverture d’une enquête.