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Paroles

Dr Ségolène Arzalier-Daret

Anesthésiste-réanimatrice, membre du Comité Vie Professionnelle – Santé au Travail de la SFAR

Anesthésiste-réanimatrice à Caen, Dr. Ségolène Arzalier-Daret s’est engagée, depuis son internat, sur la problématique de la santé au travail des praticiens hospitaliers. Elle participe notamment aux actions du « Comité Vie Professionnelle-SMART » de la SFAR, la société savante de la spécialité qui a toujours été pionnière sur le sujet. Elle nous avait accordé cet échange, en 2021, en pleine crise sanitaire, avec des circonstances aggravantes sur la santé mentale des soignants...

« J’ai d’ailleurs réalisé ma thèse et mon mémoire de spécialité sur la privation de sommeil et ses conséquences sur la santé des patient.e.s et des soignant.e.s en lendemain de garde. »

Depuis quand vous intéressez-vous au sujet des risques psychosociaux à l’hôpital ?

Je me suis engagée dans la prévention des risques psychosociaux à l’hôpital depuis mon internat. J’ai en effet perdu un collègue et ami, qui s’est suicidé ; cela m’a énormément touché et sensibilisé sur les conditions de travail des internes. J’ai d’ailleurs réalisé ma thèse et mon mémoire de spécialité sur la privation de sommeil et ses conséquences sur la santé des patient.e.s et des soignant.e.s en lendemain de garde. Après avoir démarré ma carrière de praticien, je me suis engagée au sein de la commission SMART (Santé du Médecin Anesthésiste Réanimateur au Travail) du CFAR, qui a été intégrée depuis au Comité Vie Professionnelle de la SFAR. Nous avons initié plusieurs campagnes de prévention sur la santé des médecins (80 % n’ont pas de médecin traitant) ou sur le travail en équipe. J’ai également co-administré pendant plusieurs années l’Observatoire de la Souffrance au Travail (OSAT), également fondé par notre regretté confrère, Dr. Max-André Doppia, très engagé et pionnier sur ce sujet…

L’anesthésie-réanimation est-t-elle une spécialité « à risques », plus que les autres ?

Non, ce n’est pas une discipline plus à risque en termes d’épuisement professionnel, mais elle s’est intéressée plus tôt à ces questions-là et aux risques associés aux soins. Les problèmes identifiés sont observables partout ailleurs. Par exemple, concernant la santé des médecins, c’est une tendance générale qui consiste à être auto-prescripteur, à privilégier l’auto-diagnostic ou « les avis entre deux portes » plutôt qu’un suivi régulier. Au final, lorsqu’il y a un souci, ils rentrent tardivement dans la filière de soins et n’ont pas d’interlocuteur extérieur qui pourra s’occuper, de façon objective, de leur propre santé ou de les arrêter s’ils ont besoin de l’être… 

Le vrai sujet ensuite, c’est celui des conditions de travail qui se dégradent à l’hôpital en raison de plusieurs évolutions structurelles avec de vraies conséquences, bien réelles, sur la santé physique et mentale des soignant.e.s. Toutes les enquêtes vont dans le même sens, quel que soit le secteur d’activité, pas seulement médical : le stress chronique au travail se développe fortement avec une augmentation globale de la charge du travail parallèlement à une baisse d’autonomie. A l’hôpital, cette baisse d’autonomie s’est notamment traduite, à partir de la Loi « Hôpital, Patients, Santé, Territoires » (HPST) de 2009, par le fait de retirer les médecins des décisions organisationnelles concernant l’établissement au profit d’une direction purement administrative.

Du fait de l’accélération des rythmes, de la baisse des effectifs, du management par objectifs et de la tarification à l’activité, nous sommes arrivés dans un système qui semble produire du soin plutôt que de prodiguer du soin. C’est un discours que les soignant.e.s n’arrivent pas, légitimement, à entendre puisqu’ils ont choisi un métier avec une vocation pour soigner de l’humain. Tout cela participe à une augmentation du nombre de personnes en épuisement, qui sont aussi victimes de cette perte de sens…

« Toutes les enquêtes vont dans le même sens, quel que soit le secteur d’activité, pas seulement médical : le stress chronique au travail se développe fortement avec une augmentation globale de la charge du travail parallèlement à une baisse d’autonomie. »

Quelles ont été les conséquences de la crise sanitaire ?

Avant l’épidémie, les cas de harcèlement étaient très présents, ainsi que l’émergence inquiétante des « idées suicidaires » ; elles représentaient un quart des déclarations recueillies sur le site de l’OSAT en 2019. Il est encore trop tôt pour faire un bilan exhaustif de la crise sanitaire sur la santé mentale des praticiens, mais nous avons quelques indices. De nouveaux facteurs de souffrance se sont logiquement développés : la peur de la contamination, notamment pour des personnes à risque avec des comorbidités ; l’insuffisance de moyens en termes d’organisation générale ou de protection individuelle ; la charge émotionnelle liée à l’augmentation des patient.e.s en soins palliatifs et à l’appréhension de les voir mourir seuls, sans leur famille; l’impuissance face au nombre de décès ; et évidemment, comme toujours, la surcharge de travail ! Nous avons également observé des sentiments d’inutilité, générateurs de mal-être, de la part de certains praticiens. Ces derniers se retrouvaient sans activité, en raison des déprogrammations, alors que leurs collègues traversaient des situations de tension extrême. Je pense notamment aux chirurgiens, même si beaucoup se sont mobilisés dans les faits pour venir en aide aux anesthésistes-réanimateurs, sur le plan médical et sur un ensemble de tâches quotidiennes leur permettant de gagner du temps, au service des patient.e.s. Enfin, il y a des effets de « stress post-traumatique », liés au contexte. Nous les connaissons bien en anesthésie-réanimation sous le vocable de « seconde victime », lorsqu’un médecin est traumatisé suite à un événement indésirable survenu chez un patient.

« Il faut vraiment continuer à briser les tabous et aborder les problèmes avec les personnes concernées. Ne rien dire, être dans le déni ou ne pas vouloir voir, cela fait autant de mal que la maltraitance et cela peut constituer une validation implicite de comportements parfois inacceptables. « 

Le fait qu’on parle désormais beaucoup de ce sujet permet-t-il de faire avancer les choses ?

On en parle beaucoup, en effet, depuis la crise sanitaire. Mais la brutalité de l’épidémie a aussi favorisé les avancées en trompe-l’œil : du jour au lendemain, les médecins ont obtenu des moyens supplémentaires qu’ils réclamaient depuis très longtemps et l’enthousiasme s’est rapidement estompé après le Ségur, au même titre que l’élan de solidarité autour des soignant.e.s. Les directions des hôpitaux ont également mis en place des tas de choses sur le plan de la qualité de vie individuelle (conciergeries, crèches, salles de sport, etc.) mais c’est également, bien souvent, l’arbre qui cache la forêt des vrais problèmes structurels à régler. Nous savons que le burn-out est un phénomène complexe, lié à de multiples facteurs, dont la surcharge de travail, la perte d’autonomie des médecins ou la diminution constante des temps d’échange collectif. Or, c’est précisément ce que les grandes réformes sur l’hôpital et le modèle de gestion basé sur la tarification à l’acte ont accentué ! Autrement dit, c’est le système de santé dans sa globalité qu’il faudrait repenser pour lutter efficacement, de façon pérenne, contre la souffrance au travail. 

Sur le terrain, quand est exposé soi-même ou à travers un.e collègue à une situation à risque, il est essentiel d’en parler, car le silence tue ! Il faut vraiment continuer à briser les tabous et aborder les problèmes avec les personnes concernées. Ne rien dire, être dans le déni ou ne pas vouloir voir, cela fait autant de mal que la maltraitance et cela peut constituer une validation implicite de comportements parfois inacceptables.